vendredi 12 octobre 2012

John Dullaghan, Bukowski, born into this



Hank vs Mickey
Éric Bonnargent


Bukowski, born into this est un reportage réalisé par John Dullaghan sur le célèbre écrivain américain à partir d’images d’archive et de témoignages de ses proches tels que FranEyE (la mère de sa fille), Marina (sa fille), Linda Lee (sa dernière compagne), Joyce Fante, quelques-unes de celles qui furent ses maîtresses, mais aussi Barbet Schroeder, Tom Waits, Sean Penn ou Bono.
Alors bien sûr, John Dullaghan n’évite pas les clichés. Le film débute par un document d’archive offrant le spectacle d’un Bukowski complètement bourré lors d’une lecture, menaçant de partir si on ne lui apporte pas immédiatement une autre bouteille de vin. Certains organisateurs connaissant le phénomène installeront sur la scène, en plus de la table et de la chaise de rigueur, un frigo plein… On le voit une autre fois boire verre sur verre (bouteille sur bouteille) et vomir juste avant d’entrer en scène. On le voit injurier les caméras ou mettre des coups de pied à sa femme, etc. Il y a aussi les anecdotes racontées par ses copains pochtrons : Bukowski courant dans les rues la bite à la main, etc. Il faut dire que les soirées étaient terriblement arrosées : Steve Richmond, un poète et ami, jure devant Dieu le plus sérieusement du monde avoir vu un soir Bukowski rapetisser au point de ne plus mesurer que soixante-quinze centimètres…
Bukowski s’exprime plusieurs fois à ce sujet et crée sa légende :

« L’alcool est comme une symphonie, une chanson classique. Ça sert, non pas à calmer, mais à s’élancer vers le ciel quand on souffre ou qu’on est sous pression. »

L’alcool est ce qui l’aide à surmonter ses souffrances, ses angoisses, sa fragilité. John Martin, son éditeur, confie que Bukowski était terrorisé lorsqu’il devait se produire en public, même si l’auditoire n’était composé que de quelques personnes. Le personnage burlesque n’est qu’un personnage. Buk est à Hank ce que Gainsbarre est à Gainsbourg. Il y a ainsi deux alcoolismes : un alcoolisme de façade, parfois un peu bouffon, et un alcoolisme originel, à la source du travail créatif.
L’intérêt de ce documentaire est de retracer le parcours de Hank. Il y a deux axes dans le travail de John Dullaghan : dire qui était vraiment Hank et nous montrer comment l’écrivain est né.
Son enfance a été sinistre. Lorsqu’il revient dans la maison de ses parents, il l’appelle « la maison des horreurs ». Son père était un homme violent. Le petit Charles a été continuellement humilié. Il raconte qu’une fois par mois, il devait tondre la pelouse et l’égaliser avec des cisailles afin qu’aucun brin d’herbe ne dépasse. Si tel n’était pas le cas, il était battu ; ce qui arrivait à chaque fois. Bukowski en parle avec une telle émotion mêlée de haine que l’on devine à quel point cela a été essentiel dans la formation de sa personnalité. Pour être battu, il devait se rendre dans la cuisine où était accroché le fouet et se déculotter lui-même. À six/sept ans, raconte-t-il, il criait beaucoup, vers 10/11 ans beaucoup moins et la fois où il n’a pas desserré les lèvres fut la dernière. Le « connard » dut avoir peur…
Ce sentiment d’humiliation a perduré à cause de son physique. Hank a longtemps souffert d’une acné purulente. Il avait sur le visage et le corps des pustules sanguinolentes qui faisaient de lui une sorte de monstre. Pour absorber le sang et empêcher les saignements, il était parfois obligé de recouvrir son visage de papier hygiénique… Cela explique pourquoi il a perdu son pucelage si tard, à vingt-quatre ans, avec une pute de 140 kilos : les pieds du lit n’ont pas résisté... Le récit qu’il en fait est aussi drôle que touchant.
Ses rapports avec les femmes ont été déterminés par cette époque. Plus tard, il les a collectionnées pour rattraper le temps perdu. Il confie en avoir eu jusqu’à six de suite dans son lit. La célébrité a vaincu ses complexes et les femmes, toutes plus belles les unes que les autres, toutes celles qui s’étaient refusées à lui, qui se seraient moquées de lui, se sont offertes. Mais le mal était fait. Il dira bien plus tard :

« Les petites chattes blondes, les caméras sont arrivées trop tard. »

La formation de l’écrivain commence alors. En 1942, après avoir été réformé (là encore, le récit de son entrevue avec le psychiatre est hilarante), il part sur les routes, décidé à écrire le livre qui lui apporterait la gloire. Il cumule les petits boulots, connaît la misère, mais tient bon car l’écriture devient son seul et unique but. Sa vie devient un champ d’expérimentation, une matière à la création. Il écrit quatre à cinq nouvelles par jour et tous les jours, il reçoit des lettres de refus qui lui disent qu’il n’est pas assez bon. Il déprime parfois un peu, mais se remet aussitôt au travail. Il écrit des centaines de nouvelles et, en 1944, c’est enfin la récompense : une revue accepte de publier l’une d’elles ; la plus mauvaise, à son goût.
Pour continuer à écrire, Bukowski a besoin de stabilité. Il entre à l’US Postal. Il y travaillera quinze ans. En tout. Pour lui qui détestait les règlements et qui cherchait à ne rien foutre, la poste fut « du pur enfer ». Le documentaire nous montre sa lettre de démission qui est un petit chef-d’œuvre. Il y explique que travailler lui donne des ulcères à l’estomac. Nous avons aussi droit à sa demande de réintégration quelques mois plus tard, un autre petit chef-d’œuvre, d’hypocrisie cette fois. Hank travaillait la nuit et, quand il rentrait au petit matin, c’était pour écrire et se souler. Quelques années après, il sera facteur.
Et puis, c’est la rencontre avec un homme extraordinaire : John Martin. Ce dernier collectionnait les premières éditions des écrivains américains du XXe siècle. En 1965, il vend sa collection pour la somme de 50 000 $ et fonde les éditions Black Sparrow. Martin voit en Bukowski le futur Whitman et fait ce pari fou : il lui donne 25 % de ses revenus, à savoir 100 $ par mois, à vie, afin que Hank quitte l’US Postal et se consacre à l’écriture. Bukowski, rappelons-le, était alors totalement inconnu : il n’avait publié, dans des revues, que quelques nouvelles et quelques poèmes.
Bukowski est avant tout poète. Lui-même confie que c’est là son véritable moyen d’expression. Il est vrai qu’en France, son œuvre poétique est peu connue parce que peu traduite (quelques poèmes chez Grasset). Le documentaire met à juste titre l’accent sur l’œuvre poétique de Hank qui lit plusieurs de ses textes. Le résultat est impressionnant :


C’est cela Bukowski : un regard lucide, désabusé sur le monde. Il fait par conséquent de Mickey son pire ennemi. À Linda qui lui parle du génie de Walt Disney, Hank répond que Mickey n’est qu’une minable créature à trois (?) doigts qui n’enseigne rien, n’exprime rien, un truc imaginaire sans rien de bon, ni même de créatif : « Un connard à trois doigts sans âme. » William Packard, l’éditeur du NY Quarterly, dit de Bukowski qu’il est « la dédisneyfication de chacun d’entre nous. »
Ce n’est qu’en janvier 1970 que Bukowski écrira son premier roman : Post Office, qui, comme son titre l’indique, est directement inspiré de son expérience professionnelle. Avec sa prose, Bukowski conquiert un large public et il devient bientôt une légende. Et c’est là que le contresens commence : Hank n’est pas un vieux dégueulasse, même s’il joue parfois à l’être. En 1988, à un journaliste belge qui lui demande coup sur coup si pour lui une femme n’est qu’un cul avec deux nichons et si l’amour est synonyme de pénétration, Bukowski répond qu’il n’est qu’un tordu qui n’a jamais lu ses livres. Bukowski est un sentimental ; c’est ce que le documentaire met également en évidence. On le voit pleurer en lisant La douche, un poème qui le décrit, lui et Linda King se lavant l’un l’autre ; on le voit pendant une interview aller regarder par la fenêtre au moindre bruit voir si ce n’est pas la belle Cupcake’s qui revient après l’avoir largué. Et, lorsqu’on lui demande de définir l’amour, il a ses magnifiques mots :

« L’amour ? C’est comme la brume du matin quand on se réveille avant le lever du soleil. Ça dure un moment, puis ça disparaît en brulant. […] L’amour est une brume qui brûle aux premières lueurs de la réalité. »

Voilà ce que recherchait Hank : la paix. Selon Linda Lee, il aurait fini par la trouver puisque le visage de son cadavre était enfin lisse et doux.






John Dullaghan, Bukowski, born into this. 18 €

1 commentaire:

  1. Accrocher son regard aux textes de Bukowski c'est recevoir une claque violente comme un orage sans fin et au final, c'est doux comme les rayons du soleil sur la peau, un matin d'avril.

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